C'est une invitation au voyage qui n'a rien de baudelairienne dans cette curieuse chanson de matelots de l'ancienne marine à voiles.
Les amoureux parent toujours leur promises des plus somptueux vêtements. Mais dans "la Courte paille", le mousse perché sur son mât fait une description enchanteresse à ses compagnons de ce qu'il imagine comme des mirages du désert et sauve sa vie.
Ce mousse destiné à être mangé par un équipage en détresse absolue au milieu d'une mer déserte à perte de vue, rejoint le génie populaire primitif avec le sens du rythme et de la musique.
Cette chanson anecdotique date du XVI° siècle et elle est très originale et ses rimes méritent qu'on les rappelle.
Il était un petit navire,
Il était un petit navire,
Dessus la mer - ma lon lon la !
Dessus la mer s'en est allé.
A bien été sept ans sur mer
sans jamais la terre aborder.
Au bout de la septième année,
Les vivres vinrent à manquer.
Faut tirer à la courte paille,
Savoir lequel sera mangé.
Le maître qu'a parti les pailles,
La plus courte lui a resté.
S'est écrié : "O Vierge Mère !
Sera donc moi sera mangé !"
Le Mousse lui a dit : "Mon maître,
Pour vous je me lairrai manger.
Mais auparavant que je meure,
Au haut du mât je veux monter."
Quand il fut dedans la grand'hune,
A regarder de tous côtés.
Quand il fut monté sur la pomme,
Le mousse s'est mis à chanter :
"Je vois la tour de Babylone,
Barbari' de l'autre côté.
Je vois les moutons dans la plaine
O (Avec) la bergère à les garder.
Je vois la fille à notre maître,
A trois pigeons donne à manger."
-"Ah ! chante, chante, vaillant mousse,
Chante, t'as bien de quoi chanter :
T'as gagné la fille à ton maître,
Le navire qu'est sous tes pieds !"
Cette chanson utilise des mots symboliques comme 7 ans. Impossible sans eau potable et sans faire d'escales. 7 années signifient un temps long et angoissant. La hune est une plate-forme intermédiaire dans les mâts des navires.
Le Mousse imagine la tour de Babel comme un phare de salut pour signifier que l'épreuve touche à sa fin et qu'il faut tenir le coup.
Il en profite et déclare à son maître d'équipage son amour pour sa fille qui donne à manger à trois pigeons. Le chiffre "trois" est aussi le symbole fort de la foi. La fille bien aimée donne à manger à la Trinité chrétienne sur laquelle l'Espoir est fondé.
Le Mat représente la capacité de prendre des risques dans la vie et d'avancer vers des terrains inconnus. Le Mat va de l'avant même s'il ne sait pas où cela va le mener. Il écoute son intuition pour se guider et avancer.
Ainsi hisser, la pomme est un lance-amarres, également appelé touline, est tout d'abord un cordage fin à l'extrémité duquel est fixé un nœud en forme de boule qu'on appelle une pomme de touline.
"Mettre les voiles", est l'expression populaire qui illustre le mieux le besoin de partir en mer des marins. Mais ils ne quittent pas leur port d'attache sur un coup de tête sans avoir préparer longuement un nouveau voyage. Ils quittent tout, leur dulcinée, leurs enfants, leurs amis, en un mot ils larguent les amarres pour l'aventure. Les voiles se gonflent peut-être sans retour.
Le petit mousse deviendra maître à bord du galion, il épousera sa belle bergère... L'histoire est belle et nourrit l'imaginaire. La part du rêve sauve l'équipage voué à une mort certaine...
Alors on comprend mieux d'où sortent les chansons anecdotiques et populaires.
Les marins avaient besoin de ces symboles pour tenir le coup lors de leurs voyages au delà de l'horizon vers des mondes inconnus.
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